Les moulins de la Cressonne – 5 –

Histoires des moulins

par Philippe Landry

La Nocle-Maulaix

Le dictionnaire des communes de la Nièvre Flohic propose  : « Au Moyen Age, le moulin de Marnant dépend de la seigneurie de la Nocle, et au XVIIIe siècle il est la propriété du maréchal de Villars qui installe une faïencerie à proximité ».

Dans « Au Carrefour de Trois Provinces », Marthe Gauthier évoque longuement la verrerie qui fut souvent dite « de La Nocle » ou « de la Nocle-Maulaix ». En fait elle était à Bois-Gizet, un lieu-dit de la paroisse de Savigny-Poil Fol, loin du chef-lieu de celle-ci puisque situé entre le grand étang de Marnant et l’abbaye d’Apponay, sise à Rémilly. Voir chapitre consacré à Savigny Poil Fol.

Dans le tome 2 de son grand ouvrage, Marthe Gauthier dit que le maréchal Hector de Villars, connu pour occuper le château de Larochemillay, acquiert la seigneurie de La Nocle en 1719, dont le moulin au-dessous de l’étang de Marnant. Un document de 1747 nous apprend cependant que le maréchal a aussitôt délégué à son chargé d’affaires Jean Prudon de vendre le moulin à Alexandre Léonard Poupon dès 1719. Cependant, une affaire confuse surgit en 1742 : c’est que le moulin était « entragé » de « 46 bichets seigle, 6 poulets du poids de 18 livres cinquante  et autres » ; il s’agissait d’une sorte de rente féodale. Je crois comprendre qu’Alexandre Poupon ne s’en étant pas acquitté est poursuivi par la veuve du maréchal tandis qu’il a quitté La Nocle pour devenir meunier à un moulin de Cronat. (Archives Départementales, 3E56/285).

Marthe Gauthier livre page 46 une liste de meuniers du moulin de La Nocle, probablement Marnant : Pierre Pouron en 1707, François Roux en 1714, Prudh’on en 1723, Talpin en 1757, Jean Lambert en 1764, Noël Morin en 1767, Léonard Renaud en 1790. Toutefois elle a trouvé un document dans le fonds de Voguë des Archives départementales selon lequel « les moulins de La Nocle sont banaux » (les sujets de la seigneurie sont obligés d’y porter leur grain à moudre, faute de quoi ils s’exposent à la confiscation du dit grain ou de la farine s’ils sont pris alors qu’ils reviennent d’un autre moulin). Le noble de Voguë est devenu propriétaire de force biens dans le secteur, dont Fours, La Nocle-Maulaix, Ternant, etc… et des domaines considérables situés aujourd’hui en Saône-et-Loire. Le pluriel interpelle : soit il y avait au moins deux moulins, soit celui de Marnant était assez considérable, par exemple muni de deux roues ou constitué de deux bâtiments ayant chacun une roue, pour qu’on en parle au pluriel.

C. Roy, dans son grand ouvrage en deux tomes « Quatre Vingts moulins autour d’Issy l’Evêque », dénombre 3 moulins à La Nocle-Maulaix : Marnant, Moulin-Neuf et Coquard. Il commet là une erreur qui n’est que légère : c’est la seigneurie de La Nocle qui a disposé de ces trois établissements, pas la paroisse ; le Moulin Neuf et le moulin Coquard sont indiqués par la carte de Cassini sur une rivière de Cronat.

Au moment de la Révolution de 1789, comme le sire de Voguë émigre, ses biens, dont l’étang et le moulin de Marnant, sont confisqués et mis en vente. Il est ainsi décrit : 

« Moulin de Marnant consistant en trois corps de bâtiment, l’un couvert à cloisille contenant une étable et un moulin faisant farine avec ses roues, l’autre contenant une chambre à feu, une grange et des étables, grenier, fenil, couvert à paille, le troisième en assez mauvais état, contenant une chambre et une étable, aussi couvert à paille, cours, jardin, chenevière, le tout contenant environ quatre coupelées, une terre d’environ 6 coupettes, une terre appelée le dessertit d’environ quatre, un étang empoissonnant environ quinze cent d’empoissonnement ». Beaucoup de mots de l’époque se sont perdus : la cloisille est sans doute la tuile en bois qu’ailleurs on nommait l’esseaune.

La maison du meunier est de « de longueur quatre cinq pieds sur 16 de large » (45 sur 16 : si on compte le pied à 30 cm, ce qui donne 13,50 m sur 4,80. Je n’ai pas mesuré mais cela ressemble aux dimensions de la petite maison qui subsiste à côté du moulin). 

Pierre Renault, meunier à Marnant, achète l’étang et le moulin 11 520 F. Ici surgit une surprenante affaire. C’est que le moulin comme tous les autres biens était affermés par de Voguë, en l’occurrence à un sieur Philippe. Ce dernier fait valoir que la loi sur la confiscation des biens des émigrés n’a pas annulé les contrats d’affermage. Il demande donc à continuer à percevoir la somme qu’auparavant le meunier lui versait : l’administration n’a pas d’autre issue que de lui donner raison et d’ordonner à Pierre Renault, pourtant désormais propriétaire, de s’exécuter.

En 1824-25, l’État indemnisera les nobles dépouillés de leurs biens, dont les héritiers de Voguë : le moulin de La Nocle sera évalué à 16 040 F et son revenu annuel 345,96. F. (AD 1Q1589, 1593 et 1596)

Il y a un moulin à La Nocle-Maulaix en 1809  (enquête administrative, Archives Nationales F10 226 et 310, F20 290 à 296).

Juste avant s’est éteint Pierre Renault, laissant d’ailleurs des enfants mineurs qui ne peuvent exercer tout de suite le métier de meunier. Il laisse une assez importante propriété, comprenant le moulin de Marnant, le grand étang du même nom, et des terres. Sa veuve Madeleine née Baudin s’occupe de la succession. Cela commence par un inventaire du mobilier du défunt. Le notaire le dresse sinon en écriture du chat du moins en pattes de mouche ; je me contente donc de repérer « une horloge à répétition, quatre mauvaises chaises, un lit composé de son bois, d’une paillasse en toile »… un autre lit composé de même, « deux corbeilles pour mettre le pain », une « crémaillère à boulins », un buffet en bois, 6 douzaines d’assiettes, trois soupières, des marmites, un autre lit, une armoire en bois pleine de fils et de provisions de tissus ainsi qu’entre autres de 30 draps. Dans une autre pièce encore un autre lit. L’outillage du moulin n’est pas décrit. Par contre un intéressant paragraphe intitulé « Titres et papiers » montre que Pierre Renault avait souscrit des obligations, semble-t-il pour payer l’achat du moulin ; d’ailleurs l’administration lui a fait un procès devant le tribunal civil parce que, crois-je comprendre, il n’a pas payé son acquisition en temps et en heure, et il a été condamné à payer 456,50 F. Une « conciliation » lui a permis d’étager le paiement de cette somme… ce qui ne l’a pas empêché de recevoir la visite d’un huissier le 30 décembre 1807. La veuve se retrouve devoir un reliquat de la somme précitée, plus le remboursement des obligations en cours, soit sauf erreur de ma part 717 F. Ne pouvant exploiter elle-même, elle afferme d’une part le moulin et les terres y afférentes à Léonard Renault pour un montant que je n’ai pu lire, et à un autre voisin l’étang de Marnant pour 240 F. (Notaire Cortet 3E11/1).

Les matrices cadastrales indiquent ensuite à La Nocle-Maulaix (Archives Départementales, dossiers 3P195/2 à 4) :

  • Lors de l’établissement du cadastre en 1828, aucun moulin n’est cité à La Nocle-Maulaix. J’en déduis que le moulin de Marnant est provisoirement arrêté (3p195/2).

En 1831, le moulin est à Pierre Renaud, mais son revenu fiscal net d’à peine 30 F. implique qu’il est en difficulté. Il passe à Imbart de la Tour à une date non indiquée, puis échoit à Charles Mathieu. Ce dernier y fait en 1864 une « construction nouvelle », numéro de plan 86, revenu fiscal net 120 F.

Au passage, je remarque un lieu-dit « L’huilerie », numéro de plan 183 ; peut-être les meules à huile disposées sur la place en 2022 en viennent-elles. ( 3P195/3)

Ensuite les biens de Charles Mathieu passent à M. Penot « meunier à Fours », puis à des huissiers de Dompierre sur Besbre dans l’Allier ; en 1882, le moulin de La Nocle-Maulaix, donc celui de Marnant, est à Claude Chaussin, le grand propriétaire et meunier du moulin de Fours, qui cherche à agrandir son empire meunier (il possède déjà un moulin à Montambert).

Les matrices cadastrales indiquent ensuite à La Nocle-Maulaix (Archives départementales, dossiers 3P195/2 à 4) :

  • Lors de l’établissement du cadastre en 1828, aucun moulin n’est cité à La Nocle-Maulaix. J’en déduis que le moulin de Marnant est provisoirement arrêté (3P195/2).
  • En 1888 : un « surveillant » payé 3 .F par jour, et un ouvrier 2,50, F. cela pour une journée de 13 heures  (M6335).
  • En 1889 : 2 ouvriers travaillant 13 heures et rémunérés pour chacune de 2 à 2,50 F (M6335).

En 1897, Claude Chaussin demande au Préfet un règlement d’eau pour le moulin de Marnant, cela suite à un jugement du « tribunal civil de Nevers rendu le 20 juin 1881 et confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Bourges de 1882 », dont je doute arriver à retrouver une autre trace. 

Le bâtiment du moulin est très simple, pour ne pas dire sommaire. Il est vrai que ce modeste établissement ne travaille que, selon l’ingénieur des eaux, « Le moulin ne travaille pas plus de 30 jours par an à raison de 12 heures par jour ».

On remarque aussi le plan de la roue. Alimentée par le dessus, elle est forcément à augets. Elle a 3,50 m de rayon, donc 7 mètres de diamètre, ce qui est remarquable. Elle a 8 bras de chaque côté. 

La mort accidentelle de Claude Chassin en 1898 semble mettre un terme aux ambitions de la famille.

Le moulin de Marnant est en 1906 à Marie-Louise Chaussin, sans autre indication de revenu (3P195/4). Il est probable que dès cette époque il ait été désaffecté, sans doute en raison des limites de son potentiel : en effet, au début du XIXe siècle, de grands moulins s’équipant à machines à cylindres et autres plansichters mènent à la fermeture les petits moulins incapables de résister à la concurrence. C. Roy écrit qu’il s’est arrêté dès 1896.

Longtemps quasiment abandonné, le moulin de Marnant revit quelque peu désormais en hébergeant un café-restaurant. Le développement des loisirs autour de l’étang devrait favoriser le sien. C’est en tout cas l’espoir des élus locaux exprimé lors de l’inauguration des nouvelles installations touristiques en 2021 (Journal du Centre du 20 juillet).

Dans le bourg, on remarque une paire de meules à huile, dont la provenance ne semble pas déterminée.