par Philippe Landry
Les moulins de Montambert
Avant 1800
Dans « Au carrefour de 3 provinces », Marthe Gauthier dit qu’une première unité monastique de Montambert fut érigée en prieuré en 1075, dans l’ordre bénédictin. Or la règle de St-Benoît exigeait que chaque monastère dispose d’un moulin. J’émets donc l’hypothèse que dès cette date ou peu après un moulin fut créé à Montambert au profit du prieuré.
Pourvue de nombreux étangs mais de peu de terres cultivables, la paroisse de Montambert paraît modeste à Marthe Gauthier : « Il n’y a que 6 domaines, un moulin, 2 tuileries, une poterie et plusieurs locatures ». Elle ajoute que le prieuré possédait en 1725 un moulin qu’il louait à Froton Mahyeu ; plus tard il le louera à Robert Marion. Le dossier H39 des Archives Départementales relatif au prieuré de Montambert fait référence au contrat de bail commençant le 3 janvier 1725, passé devant le notaire René Barleuf du 23 octobre 1724, entre le prieur de l’époque et le marchand Fronton Mayeux, lequel ensuite allait sous-affermer le moulin. Fronton Mayeux devait un fermage pour le moulin de 20
« rezeaux de blé seigle », 17 livres 3 sols 10 deniers. L’écriture de l’époque est très difficile à comprendre.
Un moulin apparaît à Montambert sur la carte de Cassini dressée dans les années 1740, au pied d’un étang.
A propos de la seigneurie de Vitry aujourd’hui en Saône-et-Loire, Marthe Gauthier énumère ses nombreux moulins, pas moins de 13, sans préjudice de d’aucunes forges, dont « Le moulin du Pont, à Tannay, sur un étang près du château… En 1756 il eut comme meuniers Robert Marion et les siens ». En fait ce lieu-dit « Tannay » est sur Montambert, paroisse portant d’ailleurs parfois le nom de « Montambert-Tannay ». On remarque le nom du meunier : peut-être le même qui a tenu le moulin du Prieuré. Mais Marthe Gauthier ajoute « et les siens » : c’est qu’il existait dans le secteur des « communautés familiales » ou « rurales », ces familles vivant ensemble, souvent dans un grand bâtiment commun, « au même pot, au même feu » comme on disait alors. Il arrivait qu’un propriétaire de moulin l’afferme à toute la communauté, celle-ci désignant en son sein celui qui tiendrait le rôle de « meunier ».
Le dossier H39 contient pour l’année 1786 un document dit « Copie des Reconnaissances faites par M. Bonneau au prieur de Montambert pour les biens de Montambert-Tannay et St-Hilaire ». Le « moulin de Montambert » y est cité ; il est banal (les sujets du prieuré sont obligés de porter leur grain à son moulin, faute de quoi ils s’exposent à des sanctions comme amende et confiscation du blé ou de la farine) ; il est « situé sur l’étang du moulin », il dispose de maison pour le meunier, grange, étables etc… terres, droit d’usage dans les bois, droit au bois pour entretenir le moulin. Le meunier est lié par un « bail à bourdelage » ; en principe cela signifie que le preneur du bien est serf et qu’il s’engage à régler une partie de son fermage en argent. La rédaction ci-dessus implique que le prieuré a vendu le moulin à ce M. Bonneau.
Or un document de 1809 va nous révéler autre chose ; c’est qu’un autre moulin existait en 1721 à Montambert, appartenant à un roturier.
Au XIXème siècle
Le grand fichier des familles montre que les Imbart de la Tour sont à l’origine des tanneurs de Luzy. Imbart a acheté « la ci-devant terre de Montambert » en 1809 à Gabrielle Malnoury, veuve de Pierre Saint-Cy, achat enregistré par le notaire de Fours le 13 décembre 1814, Cortet (3E11/1 pour 1809 et 3E11/4 pour 1814). Cette famille l’avait achetée en 1721 le 29 janvier notaire Berthaut 3E1/1281. Celle-ci l’avait acquise en 1660 notaire Camuset 3E1/566.
En 1840, il y a deux moulins à Montambert, respectivement sous les étangs « Gaillon » et « Grainetier » (S4174).
Les matrices cadastrales de Montambert , 3P172/2, indiquent 2 moulins, le revenu fiscal net de l’un étant de 60 F., et celui de l’autre 100 F. Tous deux appartiennent à de gros propriétaires possédant sur le commune un grand nombre de parcelles.
. Le « moulin de Montambert », numéro de plan 189, est à M. Imbart de la Tour, il fonctionne notamment en 1849, avec le revenu fiscal net de seulement 60 F., ce qui est franchement faible ; brûlé en 1873 (voir plus loin), il est « converti en bâtiment rural ». Imbart de la Tour a 289 parcelles, dont l’église et l’ancien prieuré, plusieurs maisons, des étangs…
. Le « moulin du Pont », numéro de plan 283, a le plus flatteur revenu fiscal net de 100 F. ; il appartient en 1866. à Mme Vion de Gaillon de Moncorps. Le mot « moulin à eau » est barré en 1882 mais le moulin sera relancé.
J’en déduis qu’entre temps le moulin jadis au prieuré a disparu.
Une série de dossiers notariaux évoquent le moulin du Pont, lequel se trouve tout au sud de la commune, à la limite avec la Saône-et-Loire.
- Dossier 3E11/15 notaire Michel, de Fours, 1832 :
. Bail du moulin du Pont à Montambert par le marquis de Gaillon avec le meunier Jacques Picard, son épouse née Lagarde, et leur gendre Gaspard Lacroix, fermage 800 F par an.
- 3E 60/23 notaire Brenier 1856 : bail du moulin du Pont entre le marquis de Gaillon et le meunier Jean Givernet et sa femme Marie Bourson ; le contrat indique que le moulin contient 2 paires de meules et une bluterie, 2 bâtiments d’exploitation, terres, etc. ; il s’agit en fait de la prolongation du contrat passé le 13 octobre 1850 devant le notaire Ducray de Decize. « M. le marquis de Gaillon ajoute à la jouissance des preneurs… « la seconde herbe c’est à dire le paccage du pré d’Arcier dont les époux Givernet avaient déjà le foin… Et le droit de prendre par la fonde pour ce établie de l’eau pour l’alimentation du moulin dans l’étang sui se trouve au-dessus de celui du dit moulin, mais seulement, bien entendu, quand l’eau de ce dernier étang ne sera pas suffisante. » Comme dans tout contrat, les preneurs doivent jouir du bien en « pères de famille », faire l’entretien des biens en dehors des grosses réparations ; si celles-ci sont à faire, ils ne pourront demander aucune indemnité pour le chômage du moulin qui en résultera. Ils « devront tenir les bâtiments suffisamment garnis de meubles, meublants, ustensiles, chevaux et équipages d’exploitation. Ils demeurent chargés du renouvellement des alluchons et des soies de la bluterie… »… « Il leur est interdit d’élaguer les baliveaux et brins de chêne qui peuvent et pourront se trouver dans les dits buissons et même dans les haies. » Un des bâtiments est couvert à paille : « Ils devront chaque année faire employer à leurs frais sur la couverture du bâtiment à pailler deux cent quarante kilogrammes de paille de seigle… »… « Les preneurs ayant reçu lors de leur première entrée en jouissance pour l’exploitation de leur moulin un fonds de cheptel d’une valeur de deux cents francs, M. le marquis de Gaillon s’oblige de leur laisser le même fonds de cheptel pendant toute la durée de ce nouveau bail. » Les preneurs « s’obligent à maintenir intact ce fonds de cheptel ». A l’époque le meunier était d’abord éleveur de bétail, voire agriculteur, et les contrats de fermage contiennent plusieurs articles à ce propos. Prix du fermage 950 F, et en guise de « menus suffrages » « Les preneurs donneront annuellement au bailleur, en sa demeure, deux chapons et un cochon de lait ». Le fermage est à payer en deux fois les 11 mai et 11 novembre, somme égale. Si au bout de quinze jours le fermage n’est pas réglé, le bailleur peut demander « après un simple commandement ou toute autre mise en demeure la résolution du bail », donc saisir la justice avant expulsion des preneurs.
Un moulin incendié en 1873
Les deux évènements se sont produits le même jour au même hameau de Bruyères-du-Mont, commune de Montambert, et personne n’a fait le lien entre eux. Pourtant…
Donc ce 14 mars 1873, en pleine nuit, le feu se déclare au « Moulin de Montambert ». Presque toute la population de la commune y accourt, dont le curé Thèvenard : on porte secours comme on peut au meunier, très choqué. Ce dernier loue ce moulin à M. Imbart de la Tour, un assez gros propriétaire local par ailleurs juge de paix. Le moulin est très abîmé est la foule reste plusieurs heures sur place.
De retour au presbytère tout à fait en fin d’après-midi, l‘abbé Thévenard apprend de sa sœur qu’elle vient d’y recevoir une étrange visite : un inconnu lui a recommandé de dire au curé de courir chez un homme malade au point d‘être mourant, le tisserand Nicolas Martenet. L’homme d’église y va bravant la nuit : il trouve Nicolas Martenet allongé sur le sol, entouré de sang, mort, visiblement de plusieurs balles. Aussitôt sont informés le juge de paix et la gendarmerie de Fours. Ils procèdent à différents constats : l’armoire de la victime a été fouillée et des objets certainement volés, sans doute de valeur. Le fusil de Martenet n’est plus au crochet où il était appendu sous le plafond. L’autopsie montrera que le vieil homme a été tué de trois balles de revolver. Il semble qu’il n’y ait pas eu lutte : Martenet aura ouvert à son assassin en toute confiance.
Néanmoins la faiblesse des indices ne met sur la piste de personne, même si plusieurs hommes de Montambert sont interrogés de près. Puis c’est un jeune homme quelque peu inquiet, François Martenet, un journalier lointain parent de la victime, qui vient confier ses craintes. Ce n’est pas un ange, mais justement : en 1866 il s’est trouvé en prison avec un dénommé Jean Genevois, 20 ans, condamné à 6 ans de réclusion pour avoir attaqué un nommé Jault, lequel était alors commis justement au moulin de Montambert. Il l’avait assailli pour lui voler l‘énorme somme de 2 F : c’était en effet devant les tribunaux pour bien peu! Genevois y fut jugé le 21 août 1866). Or parmi les témoignages qui avaient conduit les juges à condamner Genevois il y avait d’une part ceux de M. Garuchet, alors meunier de Montambert et qui avait eu Genevois comme ouvrier, et d’autre part Nicolas Martenet ; François Martenet vient d’apprendre que Genevois a été récemment libéré et qu’il demeure en liberté conditionnelle sous un régime de surveillance policière, cela chez un parent à Fléty à une quinzaine de kilomètres, tout en travaillant comme apprenti sabotier à Ternant, autre commune toute proche.
Ensuite tout s’établit : bien que M. Garuchet soit mort depuis quelques années, Genevois a tenu à se venger : d’abord de Martenet, mais aussi du moulin, plus probablement de son propriétaire Imbart de la Tour qui en tant que juge de paix avait joué un rôle dans l’enquête de 1866. Le 14 mars une fois la nuit tombée il n’a pas eu de mal, connaissant bien les lieux, à ouvrir la porte de l’écurie et mettre le feu à la paille. Après tout a facilement brûlé. Puis, profitant de la pagaille que suscitait l’incendie, il a pu se rendre à quelques centaines de mètres plus loin chez Nicolas Martenet. Il a toqué chez le vieux, qui se trouvait à ce moment-là allongé sur son lit. Ce dernier s’est levé pour recevoir correctement ce visiteur impromptu. Il l’a fait entrer absolument sans aucune méfiance. Puis Genevois dit qu’il a expliqué à Martenet pourquoi il venait, a sorti un revolver, et a tiré. Par ailleurs on trouve chez Genevois divers objets dont la montre de l’abbé Rebreger, curé de Rémilly ainsi qu’une somme de 300 F disparues de sa sacristie pendant qu‘il disait la messe de la Toussaint 1872. Genevois est reconnu aussi par la servante de l’abbé Hilandais curé de Savigny Poil Fol, qui l’a surpris récemment en train d’essayer de dévaliser le presbytère, mais qui n’a pu l’empêcher de s’enfuir et disparaître dans un bois malgré les appels au secours et la venue de plusieurs voisins. Le jeune homme avait décidé de se faire sa spécialité du cambriolage des annexes de lieux de culte.
La Cour d’assises condamnera Jean Genevois aux travaux forcés à perpétuité. (Ref : Journal de la Nièvre)
La fin de la meunerie à Montembert
La fin de la meunerie à Montambert
En 1877, les statistiques industrielles montrent que Montambert ne compte plus qu’un seul moulin dit du Village des Fontaines Vaillantes, employant 3 hommes, et capable de produire 350 quintaux de farine par an (AD M7505). En fait il s’agit du moulin du Pont.
1934 : le meunier du Pont est M. Baillon Pierre.
1939 M. Pierre Baillon dispose d’une capacité de mouture en 24 heures de 4500 quintaux, et d’un contingent de seulement 2821. C’est qu’en raison d’une crise de surproduction, la loi de 1934 et les décrets de 1935 imposent à chaque moulin la quantité de farine maximum qu’il peut produire, selon la moyenne de sa production de 1932 à 1934. Malheureusement pour celui du Pont l’écart est énorme par rapport à sa capacité. (999w)
En 1941, le moulin du Pont est tenu par M. Montadard. Il fait partie des meuniers qui peinent à obtenir du blé pour travailler d’une part, d’autre part sont sollicités de travailler au-delà de leur contingent en raison du grand nombre de gens des villes qui se sont réfugiés dans les campagnes ; pris à « tricher », il est condamné à un mois de fermeture du moulin en 1943 (999w466).
En 1947, l’Annuaire de la meunerie montre que le Moulin du Pont de Montambert demeure tenu par M. Montadard, mais en 1953 il a pour successeur M. Cornier, écrit Cormier en 1956. Plus aucun nom en 1961.