Corvol l’Orgueilleux et ses moulins

Actualités historiques

par Philippe Landry

Corvol l’Orgueilleux est traversée par le Sauzay, rivière qui vient de La Chapelle-St-André, qui traversera ensuite Trucy l’Orgueilleux, Oisy et Clamecy, où elle rejoindra le Beuvron lui-même affluent de l’Yonne.

Les moulins à Corvol avant 1800

L’historien De Soultrait cite à Corvol l’Orgueilleux deux moulins au Moyen Age : Constantii en 1205 et Bernard en 1239. Christian Guyot a trouvé qu’en 1437 existait sans doute aux Caillons un moulin de Menabre.

Dans le Bulletin de la Société Scientifique et Artistique de Clamecy de 1957, M. Letinois écrit à propos d’un monastère disparu de Covol l’Orgueilleux : « En octobre dernier, les maçons de la papeterie, travaillant à l’agrandissement d’un immeuble voisin, me signalent la présence, dans les cours de cet immeuble, d’assez nombreux squelettes rangés parallèlement et ayant appartenu, d’après eux, à des sujets d’une haute stature ». Le monastère remonterait « à une période reculée du Moyen Age », sans doute bâti près de l’église qui existait en 1427. Ce monastère proche de la rivière, sans doute bénédictin, devait, conformément à la règle de l’ordre, posséder un moulin tout proche, voire dans son enceinte.

La carte Cassini dressée vers 1754 propose plusieurs moulins, tous le long du Sauzay, dans cet ordre : un le seul sous étang au Sozay, puis équipés d’un bief un aux Caillons, un aux Davids, un à la Villette, un à l’entrée du bourg de Corvol et le dernier tout de suite après ce bourg, mais le dessin est peut-être symbolique ; il est possible que les deux derniers aient occupé les sites des moulins ultérieurement connus sous les noms de Josserot et de la Porte.

L’historien De Soultrait cite à Corvol l’Orgueilleux deux moulins au Moyen Âge : Constantii en 1205 et Bernard en 1239. Christian Guyot a trouvé qu’en 1437 existait sans doute aux Caillons un moulin de Menabre.

Dans le Bulletin de la Société Scientifique et Artistique de Clamecy de 1957, M. Letinois écrit à propos d’un monastère disparu de Covol l’Orgueilleux : « En octobre dernier, les maçons de la papeterie, travaillant à l’agrandissement d’un immeuble voisin, me signalent la présence, dans les cours de cet immeuble, d’assez nombreux squelettes rangés parallèlement et ayant appartenu, d’après eux, à des sujets d’une haute stature ». Le monastère remonterait « à une période reculée du Moyen Age », sans doute bâti près de l’église qui existait en 1427. Ce monastère proche de la rivière, sans doute bénédictin, devait, conformément à la règle de l’ordre, posséder un moulin tout proche, voire dans son enceinte.

La carte Cassini dressée vers 1754 propose plusieurs moulins, tous le long du Sauzay, dans cet ordre : un : le seul sous étang au Sozay, puis équipés d’un bief, un aux Caillons, un aux Davids, un à la Villette, un à l’entrée du bourg de Corvol et le dernier tout de suite après ce bourg, mais le dessin est peut-être symbolique ; il est possible que les deux derniers aient occupé les sites des moulins ultérieurement connus sous les noms de Josserot et de la Porte.

Aucun moulin de Corvol n’a été saisi comme bien national à la Révolution de 1789.

Ci-après ce qui semble le plan du moulin primitif de la Villette juste avant sa transformation en papeterie par Thomas-Varenne.

Au XIXe siècle puis jusqu’en 1914

En 1818, Thomas-Varenne crée la fameuse papeterie de Villette, qui comptera jusqu’à 200 salariés, et fonctionnera jusqu’en 1959. Le dossier S 4138 (établissement des règlements d’eau) montre que lors de la création de la papeterie de Villette, Thomas-Varenne a éliminé un ancien moulin à grain (d’autres documents disent 3 moulins éliminés) et a prétendu créer un moulin à travailler le fer (cette tentative a échoué). Il a eu maille à partir avec les compagnies de flottage, son installation ne laissant pas assez passer les bûches destinées à être assemblées à Clamecy; les compagnies ont eu gain de cause en justice. Voir plus loin l’histoire de ce fameux moulin à papier de Villette.

En 1830, M. Limosin demande au préfet l’autorisation de construire un moulin à blé, attendu que « 3 viennent d’être détruits par M. Thomas-Varenne », ce que confirme le maire de Corvol sollicité de donner son avis. Aux Archives municipales de Clamecy, j’ai trouvé un document selon lequel M. Limosin, « propriétaire et meunier » à Corvol, a demandé l’autorisation de construire un nouveau « moulin à blé » « dans sa propriété » en 1859.

En 1849, M. Guibert achète un moulin à M. Ligé (il s’agit de celui des Caillons) ; il entreprend des travaux qui modifient légèrement le bief sans l’autorisation administrative, au grand dam de certains voisins. Cela provoque une visite de l’ingénieur des eaux, suite à quoi le préfet lui ordonne quelques modifications, que M. Guibert s’engage à réaliser. (AD série S)

Les dossiers de matrices cadastrales 3p85/2, 3 et 4 des Archives départementales indique entre 1830 et 1882 à Corvol les établissements suivants : 

. Le fameux moulin à papier (revenu fiscal net 6 000 F). Il fait partie des biens de Thomas-Varenne longtemps ; dans les dossiers 3P85/3 et 4 ceux-couvrent 9 pages et demie de 40 lignes, dont force terres et bois, plusieurs maisons, et surtout :

. le « Moulin du Sauzay » plan 324 revenu fiscal net 150 F.

. Le four à chaux des Baudions plan 22 revenu fiscal net 5F.

Retour à la liste générale du 3P85/2 :

. 3 moulins à grain 200 F, 200 F et 250 F.

. Une huilerie 30 F.

. Un moulin à chiffons (broyant les chiffons pour obtenir la pâte à papier, donc au profit de la papeterie) 150 F.

. Un moulin à ciment 15 F.

. Une filature 16 F. La filature Vannereau, plan 163, est tout près de son moulin que Didier Vannereau possède dans le hameau du Grand Sauzay, plan 165, acheté en 1835 à Edme Limosin (lequel était déjà meunier à Corvol en 1829, semble-t-il domicilié aux Caillons). La filature a peut-être utilisé la force hydraulique ou animale mais je n’ai aucun détail, sinon que dès 1861 elle est un simple « bâtiment rural » donc ne fonctionne plus. . Maillery Sébastien gendre Dumont a le moulin du Grand Sauzay plan 165 à partir de 1862, dont le revenu fiscal net monte à 797 F sans doute en 1880 ou 81, mais barré en 1882.

. L’huilerie Jean Gobillot, plan 687, est démolie en 1875.

. Le moulin de la Porte, numéro de plan 577, appartint avant 1882 à M. Félix Cornette (revenu fiscal net 200 F).

Un moulin à chiffons, n° de plan 327, est créé par le marquis Michel de Neufchaises en 1858. Mais celui-ci a un autre moulin, plan 715, dont le revenu fiscal net est 2 000 F.

Le 3P85/4 indique : 

. Bardet, marchand de biens à Corvol, possède le moulin de Gosserot puis Josserot plan 699 ou 1699 revenu fiscal net 200 F en 1841. Il appartient à Jean Liger Josserot en 1861.

. Paul Lambel a à la veille des années 1880 :

. Le moulin à chiffon dit « Moulin Sauzay », plan 327, revenu fiscal net 160 en 1881, barré en 1882.

. Un autre moulin à chiffon plan 854 dit « du Grand Sauzay », 180 F en 1881, barré en 1882.

Marlière en 1858 recense à Corvol 3 moulins à blé, 2 à huile, 1 à plâtre, 1 filature de laine (mais le même moulin peut avoir plusieurs activités).

Un dossier de la série S des Archives départementales évoque « l’usine à fer de Sosay » qui en 1831 appartient à Languet de Livry, lequel se définit comme « maître de forge ». Il s’entend avec Thomas Varenne pour créer un établissement comportant « fourneau, martinet, four à réverbère » afin de fabriquer du fer « façon Angleterre ». La roue hydraulique servait à faire marcher le martinet (marteau tombant sur les pièces à forger » et peut-être un soufflet activant le fourneau. Mais dans les années 1840 la plupart des forges de la Nièvre ferment pour cause de rentabilité insuffisante du minerai nivernais. Certains des établissements deviennent des moulins à blé, ce qui est le cas pour l’usine de Sosay. 

Les matrices cadastrales indiquent en 1882 (AD dossier 3P85/7) 

La papeterie de la Villette

.  Pierre Brivot banquier à Clamecy possède la papeterie numéro de plan 590, revenu fiscal net 3400 F.. Puis la propriété échoit à M. Boulard, le même revenu fiscal net étant de  2752,50 F à « l’écurie et magasin » et 8 436,65 F. à la papeterie. Puis elle passe à Maurice Boulard en 1903. Le revenu fiscal net passe à  14 666,65 F en 1892

Les biens de la famille de Lambel, propriétaire du château de Sauzay et des domaines proches.

. Paul de Lambel 

. Moulin de La Porte plan 711, 200 F puis en 1882 671, démoli en 1887.

. Moulin de Sauzay à chiffons, plan 327, 160 F en 1882, 628 en 1905.

. Moulin du Pré des Roches 84bis, 15 . puis 3 394,50 F, démoli en 1890.

. Moulin à chiffons et talons du Grand Sauzay plan 854, revenu fiscal net 180 F en 1882 puis 1 666,65 F. en 1905. Cette propriété semble passer après 1905 à Paul Savignat avoué à Clamecy, nouveau propriétaire du château de Sozay, qui en obtient le revenu fiscal net de 1 380 F, mais le registre l’indique « sorti » en 1910. L’atelier « talon » passe lui à d’autres propriétaires (voir plus loin).

. Un autre « Moulin du Grand Sauzay » plan 165, revenu fiscal net 8 F. en 1882 (donc en fait ne marchant pratiquement plus), « sorti »  des registres fiscaux en 1890.

. Un autre De Lambel a eu un moulin plan 843 bis, rapportant alors le dérisoire revenu fiscal net de 15 F, converti en « bâtiment rural » en 1856.

. Le titulaire du titre de vicomte de Lambel possède  l’huilerie plan 1187, au revenu fiscal net dérisoire de 8 F., construite en 1883, mais dont je ne trouve plus trace ensuite.

Deux meuniers importants demeurent :

. M. Bourdiau Lucien possède le moulin Josserot dit aussi « moulin de Corvol », plan 1689 ; il en est le meunier. Il laisse la propriété à ses fils Gabriel et Lucien en 1911. Revenu fiscal net 220 . en 1882 puis 1067,50.F.

. M. Pierre Guibert détient le moulin des Caillons, plan 36bis ; ses successeurs sont Adolphe Guibert en 1886 puis Emile Paillard gendre Guibert en 1903. En fait il semble qu’il y ait deux bâtiments en 1882, leur revenu fiscal net étant respectivement de 350 F. et 1 200 F. en 1882, puis 1 133 F. pour le premier bâtiment, ensuite les deux 2 1178 F. et 1 245 F.. Notons aussi des reconstructions en 1896 et 1904, tout cela témoignant de la volonté de cette famille Guibert de toujours maintenir son moulin à un niveau de production et de modernité notoire.

Autre moulin

. Moulin à plâtre et à huile de M. Augustin Beauvais, plan 165, revenu 24, construit en 1873, au Grand Sauzay, revenu fiscal net  24 puis 80 F.

Les huileries

. Huilerie de la Pétarderie plan 43, à M. Thomas Louis Puis Jules Patry en 1839, revenu fiscal net 115,50 F en 1911 qui pourrait être la date de sa création puis que marqué dans la rubrique « entrée ».

. Huilerie de Sanelle, plan 1187, à M. Théophile Girault puis Jules Maubron en 1904, revenu fiscal net 171 F en 1903, incendiée en 1911.

Un curieux établissement

. Fabrique de talons à Sozay à MM. Alphée Rame et Etienne Boulereau, au « Moulin de Sauzay », plan 327, revenu fiscal net 552 F en 1905. On peut penser que la force hydraulique faisait marcher des tours à bois façonnant les talons.

Autres données sur les moulins de Corvol entre 1882 et 1914

En 1882, Corvol compte deux moulins à grain occupant ensemble 6 ouvriers rémunérés 2,50 F par jour (AD M6314) ; toujours 2 moulins en 1887 et 6 ouvriers, mais dont les salaires s’échelonnent de 3 à 5 F par journée de 12 heures (M6335).

Une annonce dans le Journal de la Nièvre révèle qu’en 1874 le moulin des Caillons a 2 paires de meules. 

En 1890-92 Lucien Bourdeau a donc le moulin Josserot, mais aussi le moulin de la Porte qui ne fonctionne plus. Le dossier 3e54/453 notaire Bouchard des Archives départementales confirme qu’en 1895-96 Lucien Bourdeau est propriétaire et meunier de son moulin. Selon un dossier de la série S, le moulin Josserot est situé « sur le ruisseau même du Sausay, entre le moulin de Trucy situé à l’aval dans la commune de Trucy l’Orgueilleux et le moulin de la Porte dont la retenue d’eau a été supprimée à la suite d’une convention entre le propriétaire d’une papeterie exploitée plus en amont par M. Boulard ». « Le moulin Josserot ne possède pour tout ouvrage régulateur qu’une vanne de décharge placée à droite de la vanne motrice et qui est utilisée par le flottage. A droite du bâtiment il existe un bassin servant au rouissage du chanvre ». On peut supposer que les tiges de chanvre étaient brisées par le moulin, par un passage entre les meules comme cela se pratiquait couramment. 

En 1893 Corvol ne compte plus que deux meuniers à blé véritables, MM. Bourdeau et Guibert.

Le dossier S 7160 contient une grosse affaire de litiges relatifs au curage du Sauzay par les riverains depuis La Chapelle-St-André à Oisy en passant par Corvol et Tracy. Le dossier S2288 (idem) met en valeur le moulin de Sozay, tout près du château de ce nom. Le plan et le texte montrent que le moulin à blé est à droite au bout de la digue de l’étang, et que plein centre il y avait avant 1858 une huilerie. En 1896 il apparaît que M. Boulard, propriétaire de la papeterie, a d’autorité aménagé sa nouvelle digue de façon à faire monter la hauteur de l’étang de 40 cm. Mais cela engendre les protestations des voisins, notamment ceux-ci :

. M. Guibert, propriétaire du moulin en aval de la papeterie, qui se plaint que « sa berge se dégrade sur 250 mètres de longueur quand l’eau sort de l’usine en trop grande quantité ».

. « M. Beauvais Clément, propriétaire d’une huilerie sur un fossé affluent de la rivière de Sauzay expose qu’il est trois ou quatre jours sans tourner quand la papeterie marche après avoir emmagasiné l’eau, parce qu’il se produit un remous considérable dans l’affluent où se trouve son huilerie… »

En 1896-1898, Boulard, propriétaire de la Papeterie, loue l’ancien moulin à blé du Sauzay pour le convertir en atelier de papier.

En 1898 le moulin des Caillons appartient à Mme Guibert. Les plans ci-joints de cette époque montrent qu’il a déjà trois niveaux et une turbine.

La carte de 1897 montre successivement à Corvol : « l’usine du Sauzay » au singulier, le lieu-dit « Le Grand-Sauzay » où plus aucun moulin n’est indiqué, le moulin des Caillons, l’usine de la Villette et le moulin Josserot (entre ces deux établissements le moulin de la Porte n’existe plus). (AD série S).

Entre 1900 et 1914

En 1901, la presse locale annonce à vendre la « terre de Sozay », dont un « petit château » et « deux usines ».

En 1901 est à vendre « en bloc ou par lots La terre de Sozay, située communes de Corvol l’Orgueilleux, Courcelles et St-Pierre du Mont, comprenant : 

1° Petit château avec parc et un bel étang de 10 ha

2° 6 fermes

3° Divers tènements de bois-taillis aménagés ;

4° Deux usines en exploitation louées à prix d’argent.

Le tout contenant 428 ha 95 a 39 ca. »

Quelle belle propriété! D’ailleurs 2 notaires en sont chargés : Mes Gudin et Berthelier. 

En 1908 le meunier Bourdeau est assez « notable » pour que le préfet le désigne comme juré aux assises.

Le 16 octobre 1911, vers 8 heures du soir, donc dans l’obscurité, M. Girault, négociant à Billy-sur-Oisy, rentre de tournée, son cheval allant tranquillement au pas. Tel n’est pas le cas de celui de M. Paillard, meunier du moulin des Caillons ; il rentre de Clamecy très pressé et entreprend de dépasser M. Girault. Sa roue heurte  celle de M. Girault, le véhicule du meunier se déséquilibre, M. Paillard tombe sur la route, sa tête heurte le sol, il est tué sur le coup. Girault affirme que la lanterne de M. Paillard n’était. pas allumée (La Tribune Républicaine). C’est désormais officiellement sa veuve née Guibert qui possède le moulin, sachant qu’elle confie assez vite à son fils la tâche de réellement mener le moulin.

Pendant la guerre de 1914-18

En 1918 les meuniers de Corvol sont Bourdeau et Paillard (je crois comprendre que ce dernier mène le moulin dont sa mère la veuve Paillard-Guibert est l’exploitant en titre).

En 1917 Corvol dispose de deux «  minotiers » réputés fournir aux boulangers, M.  Bourdeau et la veuve Paillard, avec une capacité en 24 heures théorique de 25 quintaux de farine chacun. Ce sont des moulins « de commerce » (ils achètent le grain au producteur pour vendre la farine au boulanger). La guerre occupant beaucoup de bonnes terres à blé dans le nord-est de la France, le dit blé manque fréquemment, et l’administration organise la répartition du peu de stocks disponibles entre les moulins et celle de la farine chez les boulangers, d’où un contrôle permanent des stocks et de la production. Toutes les semaines chaque meunier doit envoyer au « Bureau permanent » du contrôle des moulins un imprimé rendant compte de ses stocks et son activité, d’où la lettre ci-après de Mme Paillard-Guibert en janvier 1918.

A un moment de 1917, les stocks sont les suivants chez les minotiers de Corvol : blé 85 quintaux chez Bourdeau et 82q chez la veuve Guibert,farine 20q et 10q orge 28q et 54q. 

Mais le 2 décembre Mme Paillard-Guibert écrit au « contrôleur des moulins » que faute de blé elle ne pourra approvisionner les boulangers dont elle a la charge (AD M5796).  

Pendant l’entre-deux-guerres

La récolte de 1921 a beau apporter beaucoup de grain sur le marché, meuniers et boulangers renâclent à baisser leurs prix. Le maire de Menou écrit au sous-préfet de Clamecy le 6 septembre 1921 : « Cette denrée (le pain) pourrait être livrée à 0,90 F.dans cette commune où le bois est particulièrement bon marché et d’où les minotiers de Corvol l’Orgueilleux et de Clamecy sont relativement proches. Mais M. Virot, boulanger, pas plus que ses confrères, ne veut se résigner à voir diminuer ses bénéfices exagérés, encouragé d’ailleurs par l’exemple des minotiers… ».

Pour 1926, l’Almanach de la Nièvre indique à Corvol les meuniers Bourdeau et Nicaud-Guibert d’une part, l’huilier Moreau d’autre part.

Pour 1929, le dossier M5573 des Archives départementales comporte une liste de moulins à la capacité de production en 24 heures supérieure à 10 quintaux, tous à cylindres, dont à Corvol l’Orgueilleux le moulin des « Caillaux » (meunier Alphonse Micaud) 40 quintaux, et celui du bourg (Lucien Bourdeau) 35. 

Toujours deux moulins en 1934 ; les deux meuniers de Corvol sont MM. Lucien Bourdeau et Alphonse Micaud, qui peuvent respectivement moudre en 24 heures 35 et 36 quintaux. Lorsque la loi de 1934 et ses décrets d’application de 1935 instituent les « contingents » (nombre de quintaux maximum qu’un moulin a le droit de moudre), M. Bourdeau se voit limiter à 7 016 quintaux par an alors que ses machines pourraient en produire 9 000, et Micaud 8 010 alors qu’il pourrait produire 10 500.

Pendant la guerre de 1939-45

L’État crée un office, le Ravitaillement général, chargé à nouveau de collecter le blé disponible et de le répartir entre les moulins ; ensuite il surveille la répartition de la farine produite entre les boulangers. Très rapidement le blé manque partout, en grande partie à cause des réquisitions opérées par l’armée allemande chez les paysans. C’est ainsi que M. Micaud, qui tient le moulin des Caillons, écrit au préfet un 13 juillet (année illisible) : « J’ai l’honneur de vous informer que, meunier à Corvol l’Orgueilleux, j’ai la fourniture de deux boulangers de cette commune. Pour leur approvisionnement, il ne m’a pas été donné de bon de blé depuis le 1er juillet. Après avoir attendu quelques jours j’ai appris à la Coopérative de Varzy qui me fournit habituellement que le blé avait été délivré à un seul meunier mais qu’il en restait encore environ 25 q. J’ai donc sollicité, il y a une semaine, ce reste de blé, à deux reprises différentes auprès du Comité de la rue Gambetta, il ne m’a pas été répondu ». (L’un des bureaux chargés de suivre la répartition de stocks de blé est rue Gambetta à Nevers).

En 1941, M. Micaud ayant chargé M. Châtillon de mener le moulin, celui-ci fabrique une farine blutée conformément à la réglementation en vigueur : à 85 % (le reste étant du son). Comme tous les moulins, celui des Caillons a le plus grand mal à obtenir du blé.

L’État crée un office, le Ravitaillement général, chargé à nouveau de collecter le blé disponible et de le répartir entre les moulins ; ensuite il surveille la répartition de la farine produite entre les boulangers. Très rapidement le blé manque partout, en grande partie à cause des réquisitions opérées par l’armée allemande chez les paysans. C’est ainsi que M. Micaud, qui tient le moulin des Caillons, écrit au préfet un 13 juillet (année illisible) : « J’ai l’honneur de vous informer que, meunier à Corvol l’Orgueilleux, j’ai la fourniture de deux boulangers de cette commune. Pour leur approvisionnement, il ne m’a pas été donné de bon de blé depuis le 1er juillet. Après avoir attendu quelques jours j’ai appris à la Coopérative de Varzy qui me fournit habituellement que le blé avait été délivré à un seul meunier mais qu’il en restait encore environ 25 q. J’ai donc sollicité, il y a une semaine, ce reste de blé, à deux reprises différentes auprès du Comité de la rue Gambetta, il ne m’a pas été répondu ». (L’un des bureaux chargés de suivre la répartition de stocks de blé est rue Gambetta à Nevers).

En 1941, M. Micaud ayant chargé M. Châtillon de mener le moulin, celui-ci fabrique une farine blutée conformément à la réglementation en vigueur : à 85 % (le reste étant du son). Comme tous les moulins, celui des Caillons a le plus grand mal à obtenir du blé.

Après la Seconde Guerre mondiale

Les années qui suivent la fin de la guerre demeurent difficiles quant à l’approvisionnement des moulins en blé, donc celui de la population en farine, essentiellement à cause des mauvaises récoltes. Mais en 1946, le taux réglementaire de blutage descend à 80 % de façon à augmenter artificiellement la quantité produite. Le 13 novembre 1946 l’analyse en laboratoire de la farine produite au moulin des Caillons ne contient que 66,696 % de vraie farine ; M. Micaud est condamné à la fermeture de son moulin pendant 10 jours. 

Le moulin des Caillons demeure tenu par M. Micaud lorsqu’il est accusé par le député de fournir de la mauvaise farine. Son fils réagit par lettre au préfet du 7 mai 1947 (un hasard bien parlant : c’est le jour de « l’émeute de la faim » à Nevers, au cours de laquelle la foule envahit la préfecture jusqu’au bureau du préfet, au point qu’un personnage facétieux le dépouille de sa cravate) ; après avoir indiqué que son père est « immobile et gravement malade depuis des mois », il écrit qu’il fait ce qu’il peut avec le blé qu’on lui confie ; la farine incriminée résulte de la transformation du « méteil » que, faute de bon blé, l’administration lui a transmis. Il écrit notamment : « Je m’excuse, Monsieur le Préfet, de cette mise au point, mais l’acharnement qui est mis dans cette affaire est pénible dans une époque où il faut employer n’importe quelle marchandise et malgré tout faire de la bonne farine ».

L’annuaire de la Meunerie de la Nièvre à partir de 1947 n’évoque plus qu’un seul moulin à Corvol : celui des Caillons.  Il y est jusqu’au bout indiqué avec son contingent de 8 010 quintaux par an, d’abord sous l’autorité de M. Micaud. Puis, à partir de 1953, il est dirigé par M. Richard, qui en 1961 et 67 fait savoir que sa source d’énergie est un mélange d’hydraulique et d’électricité probablement fournie par le réseau EDF. L’annuaire n’évoque plus le moulin des Caillons à partir de 1972.

Histoire sommaire du fameux moulin à papier de Corvol dit Moulin de la Villette

Le moulin à papier de la Villette au XIXe siècle

Le moulin à papier de la Villette a donc été bâti en 1818 par Etienne Thomas-Varennes (né à Clamecy en 1781 nous dit Guy Thuillier dans « Aspects de l‘Economie nivernaise au XIXe siècle»), le Sauzay faisant tourner ses roues (au moins 3 d‘après le plan de 1822 conservé aux AD). En fait c’est alors un établissement considérable de polyindustrie puisque comprenant aussi un moulin à farine et une huilerie, sachant que Thomas voudrait même y installer un haut-fourneau et une forge (c‘est d‘ailleurs à cause de ça qu‘il a du mal à obtenir l‘autorisation demandée en 1815, puis une extension vers 1830 : il se heurte à l‘hostilité du patron des forges de Corbelin à La Chapelle St-André en amont sur le Sauzay). Il aurait emprunté 100 millions, ce qui à l’époque est vertigineux (l‘établissement de Corvol ne coûtant qu‘environ 800 000 F., Thomas-Varennes était un industriel très occupé dans plusieurs régions de France) ; les machines ont été importées d’Angleterre et installées par des ouvriers anglais. 

« Profitant de l’extension du marché, Thomas-Varennes chercha à étendre sa papeterie et en 1823-1825 installa deux nouvelles machines à fabriquer le papier continu… En février 1825 il demande l’autorisation de transformer un moulin à farine en une usine à papier et d’installer 16 nouveaux cylindres ainsi qu’une nouvelle machine à fabriquer le papier et des rouleaux chauffeurs… Il décrit ces cylindres armés de lames en acier enchassés dans un rouleau en bois d’orme de 22 pouces de long sur 24 de diamètre tournant sur leurs platines en acier. Ces cylindres sont traversés par un arbre en fonte recevant son mouvement des engrenages mus au moyen d’une roue hydraulique de 18 pieds de diamètre sur 14 pieds de large et d’une roue en fonte de 16 pieds de diamètre. » (Cette « roue en fonte » est en fait le rouet ; 18 pieds sur 14 font environ 5,40 m sur 4,20 m).

Dans leur énorme ouvrage « Papiers et moulins des origines à nos jours » aux Editions Technorama, Marie-Ange Doizy et Pascal Fulacher décrivent ce mécanisme :

« La pile hollandaise est constituée d’un cylindre de bois, renforcé de fer et muni de lames coupantes ; ces lames (une soixantaine) disposées comme les aubes de la roue hydraulique, écrasent et défilent le chiffon, en le pressant contre le fond de la pile, renforcé par une platine biseautée ; c’est la rotation du cylindre dans le bac qui assure la circulation de l’eau et de la pâte ; les chiffons, maintenus dans un courant d’eau continuellement renouvelé, sont lavés, hachés et tamisés de plus en plus finement. Le cylindre, relevé au début de l’opération, peut s’abaisser vers la platine à mesure que la pâte devient plus fine. Le principal avantage de cet appareil est de supprimer le pourrissage des chiffons, opération longue et fastidieuse qui réduisait de façon sensible la quantité de chiffons. Le cylindre permet donc une économie de la matière première et une économie de temps, donc un meilleur rendement ; enfin il améliore sensiblement la qualité du papier qui devient plus fin et plus lisse.

La vitesse d’un cylindre est de 120 à 200 tours/minute et les « coups de lames » sur la platine sont de 44 600 à 99 200 à la minute, selon la vitesse et le nombre de rainures de la platine… On comprend l’avantage considérable de cette machine qui fait le même travail (qu’auparavant) en cinq fois moins de temps… et la pâte obtenue est beaucoup plus blanche ». Les auteurs précisent toutefois que le papier est moins solide.

En 1828, la production des usines de Corvol, qui emploient 250 ouvriers payés 1,25 F par jour, est de 30 à 40 000 rames de papier. Elles connaissent diverses péripéties dans les années 1830, dues d’une part à une crise commerciale, d’autre part… à la faillite de Thomas-Varennes, non à cause de son établissement nivernais, mais de l’ensemble considérable de ses affaires, puisque le plaignant principal est de Brest dans le Finistère ; le passif est d’1 850 000 F.

La papeterie de Corvol, rachetée, continue toutefois, vivotant ; elle reçoit une machine à vapeur en 1842, laquelle marche à la houille que lui apporte le tout neuf canal du Nivernais. En 1848, son responsable M. Brivon reçoit l’autorisation préfectorale de faire marcher cette machine, à l’aide d’un dossier contenant le plan ci-joint (AD 8S4185).

  En 1844 l’usine emploie 30 hommes à 1,25 F par jour et 90 femmes à 0,90 F. pour produire annuellement, selon ses propriétaires, 225 tonnes de papier valant 247 000 F.

Le 16 avril 1846, le préfet autorise rétroactivement M. Brivot à maintenir en activité la papeterie (AD M6370). 

 

La production continue de varier au fil des époques, toutefois avec une tendance à augmenter : un peu moins de 400 tonnes dans les années 1858-59, 600 à 1000 dans les années 1880 (par 160 à 180 ouvriers dont les hommes sont payés 3,50 F par jour), et elle s‘écoule en général facilement (dossier M6322 des AD). Toutefois cette progression n’est pas linéaire. En août 1870 la papeterie de Corvol l’Orgueilleux a bien des problèmes, selon un rapport au préfet : « M. Boulard, chef de l’établissement, ne se plaint pas du manque de commandes, mais qu’il a de sérieuses craintes de ne pas être payé par les commerçants. Les ouvriers des 2 sexes au nombre de 200 employés ne travaillent que 3 jours par semaine ». Les motifs d’inquiétude changent en 1871 : « L’impôt écrasant qui frappe aujourd’hui tout particulièrement cette industrie n’arrête pas le courage de l’exploitant qui ne proteste que contre les difficultés du transport des matières que l’achèvement du chemin de fer de Clamecy à Nevers ferait disparaitre » – les travaux ont sans doute étaient retardés par la guerre et l’occupation prussienne dans l’Yonne (Dossier M 6310 des AD). Le personnel est très varié : les permanents sont 60 ouvriers au découpage du papier, 4 forgerons, charpentiers et menuisiers (salaire : 3 F par jour), 2 scieurs de long (2,50 F.), 6 « conducteurs de machines » (1,50 F.),  24 occupés « au cylindre et blanchissage » (1,50), 25 au coupage des chiffons (0,85), 7 « gratteuses et apprétaires » (0,80 F.). Remarquons la médiocrité des salaires, surtout pour les femmes.

En 1884, la papeterie emploie 180 personnes (AD M6319).

Le 15 octobre 1884 Le Journal de la Nièvre annonce que sont à louer à Corvol l’Orgueilleux : 

1)  2 usines de pâtes à papier à côté l’une de l’autre à Sozay, près Corvol l’Orgueilleux, à 4 km du chemin de fer, moteur hydraulique de 60 ch

2) un moulin à blé avec une paire de meules à Corvol, près de la gare.

Nouvelle annonce de recherche en 1893 : «A louer usines importantes usage (de) papeterie, étang, grande quantité d’eau, intarissable ».

Cladière précise dans son article de 1889 du Bulletin de la Société Académique de la Nièvre, donc rédigé en 1888 : « Les matières premières employées sont principalement le chiffon, la pâte de bois et l’alfa. » La papeterie de Corvol « ne fabrique que des papiers de luxe qui s’écoulent à Paris et un peu en Hollande. » 1000 tonnes sont produites par 2 machines à fabriquer du papier d’1,35 m de large, deux machines à rogner et une à satiner. Guy Thuillier précise : « Après diverses tentatives au début du XXème siècle pour moderniser l’entreprise, en particulier pour l’orienter vers le papier-journal – tentatives qui se soldèrent par de coûteux échecs et même, en 1905, par la fermeture de l’usine pendant un an – la papeterie est reprise par une société parisienne, qui la spécialise définitivement dans le papier de luxe et lui conserva volontairement son caractère artisanal… ».

Le travail du papier au XIXe siècle

Dans son grand ouvrage « Les merveilles de l’industrie » paru vers 1890, Louis Figuier livre une énorme analyse des techniques les plus avancées de la papeterie de son époque, dont j’extrais les passages rappelant le plus qu’une papeterie c’est un moulin. Et puis surtout, je suppose que la papeterie de Corvol l’Orgueilleux produisant comme on verra du papier de luxe, ses dirigeants devaient être attentifs à aux perfectionnements apportés ici et là à leur technique, et donc en adopter certains.

En premier lieu une industrie importante ne peut se contenter longtemps de n’utiliser comme matière première que le chiffon collecté par les malheureux chiffonniers des grandes villes, et dans les campagnes par les femmes, les enfants et les vieillards ; cela d‘autant moins que la quantité collectée est insuffisante par rapport à la demande de papier qui plus est grandissante. A ce propos nous avons un témoignage, celui d’Honoré de Balzac en personne dans Les Illusions perdues (à propos des papeteries d’Angoulême) : « On ne force pas la production. Le chiffon est le résultat de l’usage du linge, et la population d’un pays n’en donne qu’une quantité déterminée. Cette quantité ne peut s’accroître… Si donc les besoins de la papeterie deviennent supérieurs à ce que la France produit de chiffons, soit du double, soit du triple, il fallait, pour maintenir le papier à bas prix, introduire dans la fabrication du papier un élément autre que le chiffon. »

Des recherches ont lieu notamment par un fabricant de papier des Vosges en 1829, mais d’autres de ses compères cogitent aussi ; c’est ainsi qu’on étudie la capacité papetière de la rose trémière, de la réglisse, du tabac, du pavot, du topinambour, des carottes, des navets, de la pomme de terre, et puis encore des déchets de la canne à sucre, du sorgho et de la betterave après extraction du sucre, des fibres du tan une fois le tan épuisé (ce qui nous ramène aux moulins), et même les déchets de cuir et les rognures du corroyeur. Sans compter le coton que la France importe des Etats-Unis (mais Balzac observe qu‘il donne un mauvais papier), le chanvre, et autres. Figuier, qui s’appuie abondamment sur les travaux de Louis Piette, ajoute qu’en 1841 fut déposé un brevet relatif à un procédé « pour remplacer le chiffon dans la fabrication du papier par la fiente de tous les animaux herbivores » (les papetiers ont eu le bon goût de ne pas le mettre en application). Toutefois je note avec un intérêt très molinologue cette recherche sur le papier à partir de la paille qui « lessivée à froid ou à chaud et écrasée sous des meules, fournit tous ces papiers de pliage jaunes servant à l’emballage d’une foule de marchandises et qui, blanchie à l’aide du chlore, donne à des prix qui n’ont rien d’exagéré une pâte propre à des papiers d’écriture et d’impression de qualités moyennes. » (Donc arrive déjà l’utilisation de produits chimiques). Figuier cite alors comme matière commençant déjà à remplacer le chiffon le colza et surtout le bois, lequel, dit-il, dès 1771 à Bruxelles dans un mélange (1/5 de chiffon et 4/5 de bois) avait servi à fabriquer du papier. Résultat un siècle plus tard : « L’Allemagne et la Belgique comptaient déjà en 1870 plus de 80 machines à diviser le bois pour l’usage des papeteries. Aujourd’hui les fabriques françaises produisent d’énormes quantité de papier de bois. » Hé bien lecteurs épris des moulins sachez comment à l’époque on traite le bois : « La machine Völter, qui excita tant d’attention à l’Exposition universelle de 1867, râpe par une meule cylindrique en grès le bois continuellement mouillé… » (Völter est un papetier allemand qui a déposé un brevet en France dès 1847).

Louis Figuière décrit le travail préparatoire des chiffons ainsi : « L’ouvrière prend les chiffons un à un et avec une lame d’acier en forme de petite faux, qui est attachée eu-devant d’elle, les découpe en petits morceaux, qui varient de 5 à 9 cm de largeur, sur 8 à 14 de longueur, suivant la qualité des chiffons… Les ouvrières découpeuses, ou délisseuses, travaillent ordinairement par rangées de 10 ouvrières, devant une espèce d’établi formé d’un grillage de fils de fer ou d’osier distants de 1 cm en tous sens. La petite lame de faux est solidement fixée à une des traverses qui soutiennent l’établi, le dos de la lame étant tourné et incliné vers l’ouvrière. Devant le grillage est un casier divisé en nombreux compartiments. La délisseuse a une grande manne posée à côté d’elle, et renfermant 100 kg de chiffons. Elle en prend un certain nombre, et les bat, à l’aide de deux baguettes, sur le grillage de l’établi, au travers duquel tombe une partie des corps étrangers adhérents au chiffon. » Il décrit ensuite un perfectionnement apporté par un ingénieur de Grenoble faisant surtout du papier à partir du bois de pin : « M. Bergès conserve la meule en grès baignée dans l’eau et râpant le bois qui est employée dans la machine Woelter ; mais il a substitué aux simples pressions au moyen de vis mues à la main, employées par M. Woelter pour serrer les bois contre la meule, des pressions hydrauliques qui sont moins brutales et plus faciles à régler… Ces défibreurs ainsi établis ont 6 presses au lieu de 5, des meules plus grosses et une solidité qui permet d’épuiser la force de 100 à 150 cv… » Autre ingénieur, Aussedat : il « opère la désagrégation du bois au moyen d’une injection de vapeur » et « le défibrage des rondelles de bois dans le concasseur imaginé par M. Iwan Koechlin et appliqué pour la première fois à l’île St-Martin » (on voit comme les échanges d’informations entre régions et entre pays font avancer les techniques). Puis on mélange le bois avec une forte quantité d’eau et on amène la pâte au « moulin raffineur » : « Les meules employées par M. Aussedat sont coniques, en pierre et d’une seule pièce, car l’eau désagrège très vite le plâtre au moyen duquel on a l’habitude de relier les fragments ; à défaut de meules entières, on peut relier les pierres avec du ciment ».

Plus loin apparaît un appareil bien connu des meuniers : le « blutoir », lequel sert à achever le nettoyage des chiffons de la même façon qu’un meunier. « Le blutoir des papeteries est un long cylindre en toile métallique, dont les fils sont distants de 7 à 10 mm en tous sens, fixe ou mobile, et recouvert d’une enveloppe de bois dans laquelle se rassemblent les poussières enlevées. Il y a d’ailleurs plusieurs espèces de blutoirs. » Egalement appelé « loup », ce blutoir sert aussi à déchiqueter les déchets de cordes : « C’est un cylindre de bois garni de broches de fer disposées en hélice, mû intérieurement par l’axe qui le traverse à raison de 200 tours par minute  et qui laisse échapper par un grillage en fonte les poussières et les chénevottes extraites par les dents de fer du cylindre. Celles-ci entrainent, par la rotation de l’hélice, les matières filées au dehors » après quoi elles vont dans un bluteur plus fin. 

« Le défilé du chiffon est apporté dans la pile raffineuse, dans laquelle il va enfin devenir pâte. » La pile raffineuse est constituée d’un cylindre dans lequel les lames, au nombre de 54, sont réunies par paquets de trois. La platine de la raffineuse a 15 dents. Le cylindre de la pile défileuse fera 200 tours par minute. L’ouvrier responsable, dit « le gouverneur des cylindres », « doit apporter la plus grande attention à ce travail, qui dure 4 ou 5 heures, si on veut obtenir une pâte grasse, c’est-à-dire parfaitement triturée, quoique relativement longue, dense et souple, retenant bien l’eau et devant donner des feuilles d’un transparent uniforme… L’ouvrier qui dirige la pile raffineuse spatule pendant toute la durée du raffinage afin que la pâte soit bien homogène et s’engage sans difficulté entre les lames du cylindre diviseur… » 

Figuier décrit un perfectionnement de Bergès : « L’appareil raffineur se compose, comme l’appareil défibreur, de deux meules en grès. Seulement ces meules sont portées sur un axe horizontal… La meule étant mise en mouvement par la force hydraulique de l’usine râpe le bois, que les pistons des caissons pressent contre sa circonférence, et la pulpe de bois tombe dans l’eau du bassin. » 

On ajoute de la colle, dans la pile raffineuse, mais plus tard la pâte passe à l’atelier de collage pour que le futur papier tienne mieux. En passant, j’apprends qu’on peut mettre dans la pâte du kaolin (matière première de la porcelaine), « qui donne au papier une apparence plus belle et plus fine » dont il faut cependant user avec parcimonie car il peut rendre le papier trop cassant (j’évoque ici le kaolin parce qu’il y a à l’époque des carrières de kaolin dans le secteur de Decize notamment à Avril sur Loire). La pâte sèche, puis est amenée par des rouleaux sur une table avant de glisser sous des cylindres presseurs, autant d’engins rotatifs donc mus soit par la roue soit par la machine à vapeur.

En passant, on a pu voir que le travail des ouvrières et ouvriers ne devait être ni confortable, ni sans danger pour les mains.

Quelques accidents du travail à l’usine de Corvol 

Le 26 septembre 1877, Charles Chambeau, 64 ans, ouvrier de la papeterie, veut avec trois collègues faire entrer dans l’usine un charriot plein de chiffons. Une fausse manœuvre fait que le charriot se renverse, et lui tombe dessus : il meurt écrasé.

Le travail autour des monte-charge ne semble pas un modèle d’organisation. Le 1er avril 1881 dans cette usine assez haute pour l’époque : l’ouvrier Louis Quantin charge un « monte-charge » à 9 mètres de haut : il chute. Deux camarades le transportent chez lui ; en passant un caractère curieux de l’époque que j’ai remarqué à l’occasion de maints accidents du travail : l’ouvrier blessé, on ne le garde pas à l’entreprise, où il n’y a même pas un local pouvant servir d’infirmerie. Cela retarde les soins, les rend moins rationnels, mais tant pis. Après on espère des miracles : « Malgré sa chute Quantin, par un hasard providentiel, ne s’est fait aucune fracture. Il en sera quitte pour une suspension du travail d’environ un mois. » (JN, 6 avril). C’est plus grave un jour d’avril en 1903 : « Deux ouvriers de la papeterie Odent et Cie à Corvol l’Orgueilleux étaient occupés près d’un monte-charges à 20 m de hauteur environ, lorsque les chaînes se rompirent. Les deux hommes furent précipités dans le vide, et l’un d’eux, M. François Magnon, âgé de 38 ans, se fractura le crâne. Il est mort quelques heures après. L’autre ouvrier fut assez heureux pour se retenir aux chaînes ; il n’a eu que des contusions sans gravité. » (Echo de Clamecy)

Le 30 juin 1896, l’ouvrier Florentin Flaneau est grièvement blessé au bras droit par les courroies d’un cylindre à vapeur ; il s’éteint quelques jours après (Journal de la Nièvre).

Une fête

Le 30 avril 1882, Le Journal de la Nièvre publie ceci (je soupçonne le directeur de l’avoir sinon rédigé lui-même tout au moins l’avoir disons « inspiré ») 

« Hier, 27 avril, dans la petite commune de Corvol l’Orgueilleux, une animation extraordinaire avait lieu. Presque tout le monde était endimanché ; jeunes filles, jeunes gens, hommes et femmes de tout âge, sortaient de l’église paroissiale, musique en tête, au nombre de 160 environ, et se dirigeaient ensuite vers la magnifique fabrique de papier appartenant à M. Boulard qui, ce même jour, mariait à Paris un de ses enfants. M. Boulard n’a pas voulu que les ouvriers et ouvrières de son usine ne se réjouissent pas comme lui du mariage de son fils, M. Maurice Boulard ; aussi tous les employés de la manufacture ont-ils passé cette journée et même une grande partie de la nuit à fêter l’union de leur jeune patron dont la loyauté et le caractère lui ont attiré la sympathie générale des habitants de Corvol l’Orgueilleux. Inutile de dire que les pauvres n‘ont pas été oubliés et que d‘abondants secours leur ont été distribués.» On note comme l’article insiste sur le côté très chrétien de la manifestation (Le Journal de la Nièvre est très cathécumène) : on est parti de l’église ; néanmoins l‘unanimité n‘est pas réalisée puisque c‘est seulement « presque tout le monde » qui est endimanché. Y aurait-il eu déjà une sourde résistance au paternalisme patronal? Cela dit : l’usine est « magnifique ».

La papeterie au XXe siècle

Au XXe siècle l’usine le conserve, quoique la production monte à 2353 tonnes en 1960.

Avant 1914

Au début du XXe siècle M. Boulard laisse la place à une Société Odant.

Une grève

Deux grèves éclatent en 1905 à la papeterie de la Sté Odent (dont le dirigeant de ce nom n‘habite pas sur place), peu de jours après l’effondrement de l’armature d’une meule évoqué ci-dessus. Elles sont bien suivies :

– la première annoncée le 21 mai par l’Echo de Clamecy : «Lundi matin… la fabrique, qui occupait 280 ouvriers et ouvrières, a été fermée à midi. Les ouvriers demandaient le renvoi d’un nouveau directeur qui était, parait-il, grossier et violent à leur égard. Les grévistes ont soumis par télégramme leur revendication à M. Odent. Ce dernier leur ayant donné satisfaction, le personnel a repris le travail mardi matin à 6 heures. » 

– la seconde évoquée par le même journal les 18 et 25 juin : « Encore une grève. Samedi dernier, les ouvriers papetiers de la maison Odent et Cie, à Corvol l’Orgueilleux, se sont mis en grève. Ils réclament une augmentation de salaires. Les grévistes sont au nombre de 180, hommes et femmes. Des pourparlers ont eu lieu entre le directeur de l’usine, M. Aubertin, et le président du syndicat des ouvriers, mais l’entente n’a pu se faire. Les grévistes observent le plus grand calme La plupart d’entre eux travaillent actuellement aux champs. Des patrouilles de gendarmes ont lieu chaque jour. »

(Ce fut longtemps une réalité : les ouvriers des usines de zone rurale tâchaient de conserver un lopin de terre à travailler ; il faut préciser que l’emploi à plein temps n’était jamais garanti, et en particulier que le « chômage partiel » éventuel par exemple en cas de baisse provisoire des commandes n’était aucunement indemnisé).

Finalement au bout de 12 jours un accord est trouvé, dont la presse ne livre pas les détails.  

Un accident du travail

Le 3 janvier 1905 vers 6 h 39 « l’armature » soutenant une meule de 3 tonnes rompt : la meule tombe sur Frédéric Boisseau, un ouvrier papetier de 20 ans demeurant chez ses parents à Roussy. La mort est foudroyante.

De 1914 à 1939

En 1915, la papeterie demande au préfet l’autorisation d’utiliser une nouvelle machine à vapeur (AD S

4176) ; elle réitère en 1929, cette fois semble-t-il pour un ensemble de deux machines. Elle renouvelle sa machine à vapeur en 1915 ; elle en a deux en 1929 (AD série 8 S dossier sur les machines à vapeur).

La Société Scientifique et artistique de Clamecy possède en vrac une montagne d’archives de la papeterie de Corvol versées par l‘entreprise lors de sa disparition, sauf que les documents les plus importants ont dû être gardés par le groupe auquel elle appartenait (Arjomary-Prioux naguère Prioux). On y trouve toutefois des choses assez curieuses. 

L’inflation galopante qui frappe toute l’économie au lendemain de la guerre de 1914-18 pose bien des problèmes, puisqu‘elle fait monter le prix des matières premières, du matériel, des réparations. Ainsi le directeur local de Corvol reçoit-il cette lettre d’un dirigeant du groupe Prioux en novembre 1923 : « Je veux bien vous accorder toutes les majorations (de tarif) que vous voulez, mais vous êtes toujours beaucoup plus cher que tous vos confrères. Il est déjà très difficile de vous alimenter ; si nous augmentons encore nos prix je ne vois pas comment nous en sortirons. Tant que vous n‘augmenterez pas votre production, tant que vous aurez des arrêts de 4 à 5 heures en moyenne par jour, nous ne gagnerons pas d‘argent. Il faut monter tout de suite les deux nouvelles piles et réparer votre grosse calandre. La question des chiffons me préoccupe énormément ; elle est en effet très grave. On essaie d‘empêcher l‘exportation, mais il ne faut guère espérer le succès.»

Malgré la présence de beaucoup de forêts dans la Nièvre, on voit le président de Prioux écrire au directeur de l’usine de Corvol en 1933 : «Afin de faciliter des affaires avec la Roumanie, il serait intéressant que nous puissions consommer des pâtes de bois en provenance de ce pays, à conditions qu’elles nous conviennent comme qualité et comme prix ». Il est vrai que l’année est mauvaise : la crise de 1929 a généré une forte déflation en toutes matières qui fait baisser le revenu des entreprises, comme le montre cette lettre du même en date du 15 juin 1933 : « Les prix de vos papiers qui, jusqu’à ce jour, s’étaient à peu près maintenus à un taux raisonnable sont en train de dégringoler. Je vais être obligé au commencement de juillet, de faire un rajustement ». On en déduit au passage que le directeur de l’usine de Corvol n’est pas maître de ses prix. Il ne peut acheter une voiture ou un camion qu’avec l’autorisation de Paris, et encore non sans un sermon quant à la qualité du bandage des pneus à laquelle il doit être attentif. Même pour l’embauche d’un apprenti il doit soumettre le contrat à Paris; cela d’ailleurs ne se passe pas très bien : « Vous m’écrivez que l’apprenti a été engagé sans aucune rémunération or dans le contrat il est spécifié qu’il est rémunéré. Je suis d’ailleurs d’avis de lui donner des appointements mensuels, 50 F par exemple… » Le directeur local se justifie : « J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre lettre du 16 mars. J’avais engagé l’apprenti sans rémunération étant donné la période difficile que nous traversons d’une part, et d’autre part en raison de ce que les apprentis mécaniciens ne restent pas chez nous quand ils connaissent le métier. Je n’aurais même pas pris cet apprenti s’il n’était fils du tourneur de l’usine. Je serais d’accord pour lui donner les appointements que vous indiquez ». Curieux directeur qui rédige un contrat avec l’intention de ne pas l’appliquer.

En mai, il dresse « la situation des pâtes de bois pour avril » 1933 : stock 3 mois de consommation, approvisionnement en chiffon 110 tonnes, en charbon 500. Commandes en note : 105 tonnes livrables de suite et 25 tonnes d’Illustration à livrer moitié sur mai, moitié sur juin. Au  1er avril nous avions 165 tonnes. Production brute sur machine : 104 596 kgs. Papier facturé courant du mois 64,663 kg, auquel il faut ajouter blanc S 3 139 et papier peint 32 284. Total facturé 100 086 kg, pour 261,68 F la tonne. 

En 1934 et 1935 l’usine a un gros problème quant à la qualité du travail rendu, d’où cette lettre de Paris : 

– En 34 : « J’ai examiné au microscope les échantillons de papier couché que vous m’aviez envoyés hier et j’ai trouvé des petits éclats de verre, morceaux de charbon, débris végétaux. En ce qui concerne les deux premières impuretés, elles peuvent se trouver dans les matières premières (pâte ou kaolin), mais à mon avis elles sont plus probablement en suspension dans l’air et apportées par le vent. J’ai remarqué en outre que le bleu servant à l’azurage était imparfaitement dissous. »

– Encore en 34 relativement à la mauvaise qualité du collage du papier tel qu’opéré à Corvol : « Voici comment nous procédons pour le collage : nous mettons la colle aussitôt que la mélangeuse est chargée à moitié, et il est d’ailleurs recommandé par les fabricants de la mettre aussitôt que possible. Ensuite nous ajoutons les pâtes meulées, puis la charge, et enfin l’alumine, mais seulement quand le mélange est bien effectué… Si vous avez un mauvais collage, il faut vérifier l’acidité des eaux sur machine… »

– en 35 : c’est avec des colorants du papier ; un gros client fait savoir son mécontentement et le directeur local propose de l’indemniser.

Pendant la guerre de 1939-45

En septembre 1939, l’usine n’emploie plus que 60 hommes et 19 femmes, dont 8 pensionnés de guerre (une loi l’oblige à en employer une certaine proportion), et 2 anciens accidents du travail dans l’usine.

Pendant la guerre la situation est difficile, notamment parce que l’approvisionnement est compliqué, ce dont témoigne cette lettre du directeur de Corvol à Paris de 1942 : « Dès que nous aurons reçu les 15 tonnes de bisulfite écrue qui font route depuis plus d’un mois, et le premier wagon de châtaignier, nous pourrons mettre en route, mais il faudra que d’autres wagons de châtaignier suivent… De même si nous devons continuer à travailler à raison de 75 tonnes par mois, il nous faudra d’autres pâtes à la fin du mois… » Cela implique que l’usine n’arrive pas à atteindre cet objectif de 75 tonnes. Et puis une autre lettre montre combien par rapport au marché ambiant c’est complexe : « Notre bobineuse Jagenberg nous permet de faire des bobines de 360 mm. C’est donc vers une largeur plus petite qu’il faudrait s’orienter et la dimension de 220 mm pourrait être retenue ». Autre exemple : « Nous avions commandé des condensateurs statiques et leur livraison dépend de l’obtention préalable des 360 kilos d’huile nécessaires à leur remplissage. Or vous connaissez la situation difficile des huiles… elle nous fait prévoir de longs délais d’obtention… »

Un moulin symbolise deux problèmes humains celui à papier de Corvol l’Orgueilleux

Par exemple dans l’atmosphère paranoïaque qui fait voir des ennemis de l’intérieur partout, toute entreprise fabriquant quelque chose utilisable par l’armée, même si c’est du papier, risque de recevoir ce genre de visite racontée dans un rapport du directeur de la papeterie de  Corvol du 2 avril 1940 (juste avant la débâcle) : « Nous avons eu hier la visite de l’Inspecteur du Travail accompagné d’un Contrôleur civil de la main-d’oeuvre militaire, qui nous a avisé que son rapport aura comme conséquence de nous retirer M. Martin d’Arnal ». On craint sûrement que les opinions politiques de ce garçon le rendent capable de saboter le papier destiné à l’armée!

Pire est le problème de « la relève » (on veut envoyer travailler en Allemagne des ouvriers français en bonne santé remplacer des prisonniers épuisés (à raison en plus de 2 pour un) ; le directeur de la papeterie de Corvol rend compte à son supérieur de Paris : « le COP nous avait fait connaitre que nous aurions 3 ouvriers à envoyer à ce titre. Je reçois ce matin l’ordre de la Kommandantur par l’intermédiaire de l’Inspecteur du Travail d’avoir à faire passer la visite (médicale) à un certain nombre d’ouvriers en les choisissant dans les listes que nous avions fournies, et en prenant d’abord les célibataires de plus de 20 ans dans les manœuvres sans spécialité puis dans les manœuvres spécialisés. La visite aura lieu lundi. La commission allemande viendra mardi avec les ordres de départ. » (lettre du 14 novembre 1942).

Après 1945

Sitôt finie la guerre on voudrait bien reprendre un rythme de production normal. Mais la France peine à se remettre de tous les désastres qu’elle vient de connaître et son appareil de production ne recouvre que lentement ses capacités. Non seulement les matières premières tardent à revenir en aussi grande quantité qu’autrefois, mais l’électricité du réseau manque également ; ainsi le directeur de l’usine rend-il compte à Paris le 29 décembre 1945 : « Vous m’écriviez le 26 courant que, pour janvier, février et mars nous aurions à faire 20 tonnes de vergé PA par mois. Je me permets de vous confirmer nos précédentes correspondances au cours desquelles je vous signalais que les restrictions d’électricité qui vont nous toucher intégralement à partir de janvier vont amputer nos programmes de 50%… Je vous signale en outre que les envois de rognures blanches et de pâte de châtaignier se sont sensiblement ralentis au cours du dernier trimestre… ». Même le kaolin n’est pas facile à obtenir en qualité souhaitable : « J’ai été hier dans l’Allier chercher le solde de notre bon de kaolin. Les mines exploitent au grand ralenti et le Comité de Paris fait des attributions massives à des revendeurs… Il en résulte que les stocks s’amenuisent rapidement ». En outre l’usine attendait une grosse livraison de pâte à papier en provenance de Scandinavie (10 tonnes), mais le bateau la transportant a travers la Baltique s’est échoué, demeure en cale sèche, et… on craint que le gel l’empêche de repartir quand il sera réparé. 

Le matériel a lui aussi besoin d’être remis en état. Dans une lettre du 22 octobre le directeur local souhaite modifier « les cylindres venus de Valder » mais c’est compliqué. Il ajoute : « J’envisage d’utiliser dès maintenant 1° un cylindre usagé aux 3/4 qui se trouve à Corvol, 2° un cylindre au relamage chez Allimand car ce cylindre peut être relamé à 60 lames dans un délai de deux mois. 3° de commander un cylindre neuf à 74 lames qui viendra remplacer à brève échéance le premier. A ce moment-là nous modifierons à Corvol les tourteaux du  1er cylindre complètement usé, le ferons relamer à 74 lames et le garderons comme rechange ».

Dans une autre lettre de juillet il envoie à Paris « un calque montrant le dispositif adopté à Corvol en remplacement du dévidoir primitif ; il possède l’avantage de permettre le changement des bobines sans arrêter la coupeuse. On les glisse sous le dévidoir au moyen d’un petit chariot à deux roues et on les soulève sur les supports. Des femmes peuvent exécuter ce travail peu pénible étant donné la faible hauteur des supports. Il a l’inconvénient d’être notablement plus encombrant sur la longueur (le nôtre porte 7 supports) et mesure 3,50 m de long. Les feuilles s’engagent mieux venant du bas que celles des bobines supérieures de l’ancien bâti. »

Un article du Journal du Centre du 16 octobre 1963 indique que le papier fabriqué à Corvol entre « dans la fabrication du formica » ; cette année-là, sous la direction de M. Barbin, l’usine transforme une pâte originaire de Finlande et de Norvège ; elle emploie 100 personnes dont 80 ouvriers.

Un autre article du 23 septembre 2001 l’a rappelé : « Les ateliers corvolois fabriquaient des papiers de grande qualité dont le fameux « avia » bleuté de Corvol avec 2 hirondelles AVIA en filigrane ». Il souligne également que son « vergé chiffon » était utilisé dans l’édition haut de gamme.

La fin de la papeterie

La production a beau augmenter de 10 % en 1969, la maison-mère argue d’une « baisse de commandes » et d’un « déficit » important (250 000 nouveaux francs) pour organiser la fermeture de l’usine les deux premiers mois de l’an 1971. 104 personnes sont licenciées et quelques autres reclassées dans d’autres établissements du groupe.

Un document de la Société Scientifique et Artistique de Clamecy du 27 novembre 1984 précise qu’à la fin « la spécialité était la fabrication de vélin chiffon pour les éditions de luxe. Leur satiné était très renommé ». Arjomary-Prioux « a abandonné les lieux en 1971-72 démontant tout le matériel sauf la turbine. Le bief est une maçonnerie impressionnante : plus de 3 mètres de hauteur d’eau. Le moyeu de la roue à aubes et le cerclage de celle-ci existent encore. »

Un souvenir

Malheureusement, malgré les efforts d’une association pour promouvoir le souvenir de la papeterie, tous les bâtiments ont été rasés. L’association a présenté à Clamecy il y a quelques années une belle exposition sur la papeterie.

J’ai trouvé à une brocante un cahier d’écolier fabriqué à la papeterie de Corvol l’Orgueilleux. Je le conserve en souvenir.